Chère lectrice, cher lecteur,
 
Quand on évoque la maladie d’Alzheimer, on pense naturellement aux malades, ceux dont la vie se perd dans ce terrible brouillard qui les avale petit à petit.
 
Mais ceux qui sont trop souvent oubliés, ce sont les aidants.
 
Les familles, les proches, les conjoints, les enfants.
 
Ceux qui prennent en charge le malade jusqu’à ce que la « charge », justement, devienne trop lourde à porter.
 
Soit parce que le patient est devenu trop dépendant, soit parce que les aidants eux-mêmes n’y arrivent plus.
 
Aujourd’hui en France, près de 3 millions de personnes sont directement ou indirectement touchées par la maladie1.
 
Et combien autour d’eux, qui souffrent par ricochet ? Mystère…

Solitude…par ricochet

Les risques pour leur propre santé sont pourtant importants, comme le souligne le Dr Michael Nehls dans son livre « Guérir Alzheimer » :  
 
« Bien souvent, les aidants négligent leurs propres besoins et sacrifient leur santé, tant psychique que physique ».
 
Ils rechignent à se mettre au centre, car ce ne sont pas eux les malades.
 
Mais le résultat, c’est qu’environ un aidant sur trois développe une dépression clinique.
 
Le plus souvent, c’est un cumul de carences qui en est à l’origine : manque de sommeil, d’activité physique, manque de repas sains et de reconnaissance.
 
Ce à quoi s’ajoute une isolation sociale « par ricochet », qui touche aussi le conjoint aidant, par exemple.
 
Les aidants se retrouvent sans le savoir dans un cercle vicieux effrayant :

« Par rapport à ceux dont les partenaires sont en bonne santé mentale, les aidants, du fait des exigences particulières que requièrent les soins, voient multipliés par six leur propre risque d’être touché par la maladie d’Alzheimer ! »

Incroyable et injuste. Et pourtant parfaitement logique.
 
Voici ce qui se passe :
 
Les troubles de la neurogénèse (production de nouveaux neurones) entraînent une diminution de la résistance au stress.
 
Le taux de cortisol, hormone du stress, est plus élevé.
 
Or, le cortisol va avoir pour effet de freiner, voire de stopper, tous les processus qui consomment de l’énergie (y compris la création de neurones).
 
En situation de danger grave, il est en effet le mobilisateur de toute l’énergie disponible pour que nous puissions nous défendre contre l’effet déclencheur du stress.
 
Le problème est que le cortisol favorise la production de protéine béta-amyloïde – amyloïde vient du terme grec qui signifie « amidon » – dont la concentration trop forte détruit les connexions entre les synapses (zones de contact entre les neurones, qui permettent leur communication).
 
Voilà pourquoi en situation de stress chronique, la neurogénèse se trouve durablement perturbée.
 
Et on comprend facilement pourquoi les proches de malades d’Alzheimer se retrouvent vite en situation de stress chronique.
 
En comparaison avec d’autres maladies, Alzheimer se distingue en effet par une perspective inéluctable, décrite par le biologiste Konrad Beyreuther : la maladie s’accompagne de la certitude « qu’on ne peut stopper son évolution négative – après un certain stade – et que l’aidant ne recevra plus aucun remerciement au cours des dernières années ».
 
Alors, les aidants sont-ils toujours happés par le trou noir d’Alzheimer ?
 
Pas forcément

La maladie donne confiance ! 

Car il faut aussi souligner un autre aspect, qui apparaît lorsqu’on analyse le témoignage des aidants.
 
Dans une étude américaine sur la question, le chercheur en psychologie Geoffrey Tremont souligne que le sentiment d’utilité que ressentent les aidants est aussi une source de confiance en eux

« Pour quelques-uns, cette expérience de prise en charge d’un proche est précisément ce qui va leur permettre de développer une vision positive de la vie et de considérer leur existence comme plus précieuse qu’avant ».

La maladie joue alors un rôle transformationnel.
 
Contre toutes attentes, il arrive qu’elle l’aide la personne qui aide à se révéler, à trouver sa juste place.
 
Mais on ne peut pas généraliser ces cas-là.   
 
Ce serait injuste vis-à-vis de tous les aidants pour qui la maladie d’un proche demeure, avant toute chose, une gigantesque souffrance.
 
Un rocher qui vous écrase tant il est lourd et qu’on est seul à le porter.
 
Alors dans les quelques conseils que l’on peut donner pour aider à supporter la charge, c’est d’abord de garder des espaces de vie pour soi : jardiner, lire, peindre, marcher, danser, évacuer par le sport, l’art ou le rire le trop plein d’un quotidien fait de devoir et d’abnégation, souvent sans le moindre retour.
 
Une étude américaine a ainsi montré que les personnes qui avaient dans leur vie des activités intéressantes et utiles avaient deux fois et demie moins de risque d’être touchés par la maladie d’Alzheimer que ceux qui ne voyaient aucun sens à leur existence2.
 
Le Dr Nehls cite le cas étonnant d’un psychologue américain, Richard Taylor, diagnostiqué avec la maladie d’Alzheimer en 2001, à l’âge de 58 ans.
 
A partir de ce moment là, il s’est mis à écrire tous les soirs dans un journal ce dont il se souvenait de ses journées.
 
Il en a fait un livre, qui a connu un tel succès qu’il s’est mis à être invité dans des conférences partout dans le monde pour partager son expérience, et ce quasiment jusqu’à sa mort, en 2015.

« Le sentiment d’accomplissement lié à son succès a sûrement fait office d’engrais pour son hippocampe.
 
« Car chaque expérience positive contribue à l’intégration durable de nouveaux neurones ».

C’est vrai pour les malades, et c’est vrai pour les aidants.  
 
A côté de cette recherche de « stress positifs », le yoga, la méditation, les thérapies familiales ou les groupes de paroles (voir le site de l’association France Alzheimer notamment) sont régulièrement mis en avant dans les études comme des accompagnements utiles. 
 
D’ailleurs si vous avez de bonnes adresses ou des expériences de ce type de groupes de parole, n’hésitez pas à les partager en commentaire de cette lettre.
 
A tout ceci, le Dr Nehls ajoute un dernier conseil que je trouve plus fondamental encore.  

La grande affaire de l’humanité…depuis le début

Lorsque Alzheimer sonne à la porte de nos existences, il faut essayer, nous dit-il, « de poser à nouveau sur la vie un regard enfantin ». 
 
« Ce qui vaut pour le chasseur-cueilleur vaut en effet encore pour les enfants : le corps et l’esprit ne sont pas encore séparés, l’individu est entier. »
 
Il est alors possible de vivre l’instant et de retirer le meilleur de chaque situation. 
 
« Les bons moments s’enchaînent ainsi comme les perles d’un collier et forment ensemble ce qu’on peut considérer comme une vie riche. L’avenir vient de lui-même».
 
Cultiver l’esprit d’enfance…

Cette simplicité de l’âme que nous consacrons notre vie à acquérir, ou plutôt à retrouver, car c’est un don de l’enfance qui le plus souvent ne survit pas à l’enfance…
 
Ce désir d’être qui se nourrit de tout ce qui fait le fondement de notre aspiration : l’irrésistible besoin de sensations, d’émotions, de réceptions, de dons et de communion – qu’en réalité un seul mot est capable d’englober : amour.

L’amour…
 
La grande, la vraie, la principale affaire de l’humanité depuis le début.
 
L’amour qui frappe à tous les coeurs, ceux des puissants comme des petits, des malades comme des biens portants, tout le monde au même tarif. Et tous lui ouvrent comme on ouvrirait…au ciel, au gigantesque, à l’infini. Car…

« J’aurais beau être prophète,
avoir toute la science des mystères,
 
et toute la connaissance de Dieu,
et toute la foi jusqu’à transporter les montagnes,
 
s’il me manque l’amour,
je ne suis rien »3.

Voilà pourquoi les gestes quotidiens des aidants sont si précieux pour les malades d’Alzheimer.
 
Car au fur et à mesure que la maladie avance, c’est par eux, par eux seuls, par leur regard et leur présence d’amour, que les malades conservent leur part d’humanité.
 
Celle qui demeurera toujours, même dans le plus profond des brouillards.
 
Alors pour finir je voulais simplement leur dire que nous étions nombreux à penser à eux. Souvent. Et à leur souhaiter beaucoup de force et de courage.
 
Santé !
 
Gabriel Combris

 

Sources :

[1] https://www.francealzheimer.org/maladie-dalzheimer-vos-questions-nos-reponses/maladie-dalzheimer-chiffres/

[2]  www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16100102

[3] Lettre de Saint Paul apôtre, aux Corinthiens.