Chère lectrice, cher lecteur

Aujourd’hui notre monde déborde de puissance de calcul. Il y a des tonnes de gens intelligents.

Davantage de doctorats, plus de brevets, plus de groupes de réflexion…

Plus de cellules grises que jamais qui s’appliquent à résoudre les défis cruciaux de notre époque.

On voit avec quels résultats dans la crise sanitaire du coronavirus…

Des esprits « brillants » qui s’échauffent au point de devenir fous, de perdre tout bon sens, et des sociétés entières qui foncent droit dans le mur en criant « plus vite !! »

Regardez par exemple la liste diffusée par le gouvernement Français à propos des produits autorisés et non-autorisés à la vente dans les grandes surfaces1 :

Le Thermomix, c’est oui ✅
Mais les fours, non ! ⛔

Les Poêles ? Accordé ✅
Les Couverts ? Refusé ⛔

La pierrade, oui ✅
La table de cuisson, non ⛔

Un pyjama pour enfant 2 ans, ok ✅
Un pyjama enfant 3 ans, pas ok ⛔

Un journal… oui ✅
Mais un livre, eh ben non ⛔

Ne cherchez pas le moindre sens, ça n’en a strictement aucun.

Mais devant des décisions aussi absurdes, il est légitime de s’interroger pour savoir si les personnes qui les ont prises n’ont pas déjà eu un petit « pète au casque » au moment de décider du reconfinement lui-même.

Le président nous a raconté…n’importe quoi !

Prenons en effet le discours que nous a servi le président de la République, le 28 octobre dernier…Le docteur Eric Menat a publié dans le journal FranceSoir une tribune pour souligner la totale incohérence du propos de M. Macron.2

Je vous invite à la lire en entier si vous ne l’avez pas fait (le lien est dans les notes), mais je voudrais juste retenir ici un des sujets les plus chauds abordés par le président : le nombre de places en réanimation, puisque le manque de lits disponibles est justement la raison centrale qui justifierait le reconfinement :

« Le président nous explique que nous sommes passés de 5000 lits en mars à 6000 lits aujourd’hui et que nous allons augmenter jusqu’à 10 000 ».

« Seulement un peu plus tard, Monsieur Macron nous explique qu’augmenter le nombre de lits de réanimation n’est pas une bonne réponse à la situation sanitaire. »…

« Monsieur Macron affirme avec satisfaction que depuis le début de l’épidémie nous avons formé 7000 nouvelles infirmières de réanimation. Puis il nous explique qu’ouvrir des lits de réanimation n’est pas la solution, car si nous avons tout le matériel nécessaire (sic !) il faut 5 ans pour former un infirmier réanimateur et 10 ans pour former un anesthésiste ! »

« Donc d’un côté, 7000 infirmières formées en 8 mois, mais ensuite il faudrait 5 ans pour en former d’autres !? Que croire ? Comment interpréter ces affirmations contradictoires ? »

« Et le plus beau c’est qu’un peu plus tard, il nous explique que « quoi que nous fassions nous aurons 9000 patients en réanimation à la mi-novembre, soit la quasi-totalité de notre capacité nationale ». Alors qu’il vient d’expliquer que cette capacité était de 6000 lits !!!!»

Je résume le propos présidentiel :

  • Nous avons 6000 lits qui deviennent 9000 en quinze jours, alors qu’il a fallu huit mois pour passer de 5000 à 6000,
  • Nous avons 7000 infirmières qu’il faudrait former en 5 ans mais qu’on a formé en 8 mois,
  • Mais bon, de toute façon tout ceci n’a aucune importance car tout ça n’est pas la bonne solution…

Oui je suis d’accord, ça donne franchement mal à la tête !!!

Mais comment est-ce possible ? Comment autant « d’intelligence » peut-elle produire autant de décisions et de discours aberrants ?

Décisions stupides : l’explication de deux psychologues

Pour tenter de répondre à cette question, je vous propose d’explorer les travaux de deux psychologues américains, Dunninbg et Kunner, qui se sont penchés sur notre incapacité à reconnaître notre…incompétence3.

A l’origine, c’est un fait divers totalement ahurissant qui a motivé leurs travaux.

En 1995, à Pittsburg, Pennsylvanie, un braqueur de banque nommé Mc Arthur Weeler, a agi en plein jour, sans masque…en pensant que personne ne le reconnaîtrait sur les caméras vidéo.

Pourquoi ? Parce qu’il avait mis du jus de citron sur son visage, et qu’il pensait, un peu comme lorsqu’on écrit avec du jus de citron sur un papier, que cela le cacherait du regard des caméras…Quand la police lui a montré les enregistrements, le braqueur a été frappé de stupéfaction : « Mais pourtant, je portais du jus !!»…

Evidemment, on peut penser qu’il était un peu « bas de plafond ».

Mais les chercheurs sont allés plus loin, en formulant l’hypothèse de l’existence d’un « biais intellectuel » qui pousserait les gens incompétents à surestimer leur capacité, et qui les empêcherait de prendre les bonnes décisions,

A l’inverse, les personnes compétentes auraient tendance à se sous-estimer.

Cette hypothèse, les chercheurs l’ont testée sur des étudiants en psychologie de l’université de Cornell, à qui ils ont fait passer des tests de logique, de raisonnement ou encore de grammaire.

Puis ils ont demandé aux participants d’estimer leur rang en comparant les copies des autres étudiants.

Ce qu’ils ont observé c’est que les plus compétents avaient une estimation correcte de leur place et au contraire, les moins compétents avaient tendance à la surévaluation.

Une autre étude de l’université McGill de Montréal4 a montré que les conducteurs ayant la conduite la plus dangereuse (en termes de vitesse, d’alcool ou de non respect du code de la route) étaient également ceux qui se plaignaient le plus… des autres usagers de la route, sans jamais remettre en question leur vision de la sécurité routière.

Les incompétents se sentiraient donc plus doués que les autres…Est-ce vrai au gouvernement ? Je vous laisse la liberté de répondre ! En attendant…

…C’est vrai aussi en médecine !

Ce qui est intéressant c’est que cet effet que les psychologues appellent la « surconfiance » pourrait par ailleurs être la cause principale (jusqu’à 30 %) d’erreur de diagnostics médicaux5. Voici ce qu’écrivent les chercheurs :

« Les médecins ont en effet tendance à travailler avec des « heuristiques », c’est-à-dire des schémas préconçus de réflexion qui leur permettent de simplifier le processus de raisonnement. »

« L’intérêt de cette forme de pensée est qu’elle est rapide et économe en énergie, en temps. Elle offre au médecin une solution toute faite, confortable (donc engendrant une grande confiance en soi) et le plus souvent, elle est réellement efficace ».

« Cependant, ces schémas étant basées sur des méthodes empiriques, elles ne peuvent pas résoudre tous les problèmes, » et surtout pas vous vous en doutez, ceux qui sortent du moule…

Conclusion des chercheurs : « ce mode de fonctionnement peut donc être à l’origine d’erreurs de diagnostics, en particulier à cause de la routine qu’il induit.

Plus une situation semble connue et plus elle risque de pousser le médecin dans l’erreur de surconfiance avec en corollaire une sous-estimation des risques. »

Merci Combris, mais que fait-on de tout ça ?

Maintenant qu’est-ce que cela signifie pour vous ? Et comment savoir quelle est la « posture intellectuelle » du médecin qui vous soigne. Eh bien il y a une façon très simple : c’est de regarder s’il est ou non à votre écoute.

Là, ce sont des chercheurs de Harvard ont montré que l’attitude du médecin avec son patient lors de la consultation avait un impact direct sur sa santé :

« Lorsque le médecin coupe la parole à un malade qui parle de ses symptômes, lorsqu’il garde les yeux rivés sur son ordinateur sans donner l’impression d’écouter, le médecin réduit l’efficacité de sa consultation »6.

Et au contraire lorsque les chercheurs ont mis en place des interventions visant à améliorer la communication il y eu un effet MESURABLE et bénéfique sur certains marqueurs de l’état de santé, comme la pression artérielle, la perte de poids ou les scores de douleur.

Des chercheurs de l’Université d’Oxford ont voulu pousser plus loin, pour comprendre ce qui expliquait notre seuil de résistance à la douleur.

Leur conclusion ? Ce n’est ni de notre âge, ni notre constitution, encore moins de notre niveau de revenus… mais de l’étendue de notre cercle d’amis, ceux-là même qui sont le plus à notre écoute.

« Plus on est entouré d’amis, mieux on résiste à la douleur » résume la directrice l’étude7.

Cela s’explique par un mécanisme chimique : voir des amis permettrait au cerveau de sécréter de l’endorphine, l’hormone du plaisir, également efficace pour combattre la douleur. Si efficace qu’elle serait même plus efficace que la morphine, un des plus puissants antidouleurs !

Un coiffeur avait tout compris !

Alors dans le fond, ces chercheurs enfoncent un peu des portes ouvertes. On sait par expérience que l’écoute est presque la première des médecines. Un célèbre médecin indien, le Dr. Rajan Sankaran, explique à ce sujet avec beaucoup d’humour pourquoi il est devenu homéopathe :

« En tant qu’homéopathe, vous n’avez quasiment rien à faire. Il vous suffit de poser une question au patient : dites m’en un peu plus sur vous-même, et de tendre l’oreille ».

En d’autres termes, cela signifie : écouter.

Mais il faut se rendre compte qu’aujourd’hui, le fait qu’un thérapeute puisse réellement écouter son patient est tout sauf une évidence.

Alors si vous-même n’avez pas l’impression d’être écouté ou entendu, c’est l’occasion de chercher une autre relation avec un nouveau thérapeute.

Car l’écoute est un fabuleux baume apaisant.

Elle libère celui qui parle, bien sûr. Elle valorise aussi celui qui reçoit la parole.

Est-ce pour cela que les gens autrefois allaient se confesser. Moins pour être jugés que pour être…écoutés ?

Est-ce pour cela qu’un million de Français franchissent chaque jour la porte d’un salon de coiffure, finalement un des rares endroits où il est admis de parler de soi, et où l’on vous écoute ?

Ce n’est pas un hasard si le coiffeur Jacques Dessange avait comme slogan : « Recoiffe-moi le moral ». Il savait bien qu’on venait chercher chez lui beaucoup plus qu’un brushing…

Il n’est aujourd’hui plus de ce monde, mais j’aurais été intéressé d’avoir son avis sur ce triste reconfinement, qui isole encore un peu plus les plus seuls et les plus fragiles, tous ceux qui précisément auraient le plus besoin qu’on les écoute…

Portez-vous bien,

Gabriel Combris

 

 

Sources et références :

1.D’après Michel-Edouard Leclerc.

2.http://www.francesoir.fr/opinions-tribunes/covid-19-et-confinement-qui-ment-qui

3.Justin Kruger et David Dunning, « Unskilled and Unaware of It: How Difficulties in Recognizing One’s Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 77, no 6,‎ décembre 1999, p. 1121–34 (PMID 10626367lire en ligne [archive]).

4.http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0150227

5.http://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.facteurs-humains.fr%2Fla-surconfiance-comme-premier-facteur-dechec%2F

6.https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0094207

7.http://medicalxpress.com/news/2016-04-friends-morphine-larger-social-networks.html