L’actualité, cette semaine, a été marquée par la publication d’une prétendue « étude-choc » sur les « cadeaux » que recevraient les médecins de la part de l’industrie pharmaceutique, et qui influenceraient dangereusement leurs prescriptions.

Voilà typiquement le genre d’informations dont les médias raffolent, en mode « aglagla, panique à bord » :

article Le Monde

Image article BFM

 

Maintenant, de quoi s’agit-il ?

La base, c’est une étude conduite par deux médecins généralistes Français, les Dr. Pierre Frouard et Bruno Goupil, et publiée par le prestigieux British Medical Journal[1], dans laquelle ils ont cherché à savoir si les « cadeaux » des laboratoires, même minimes, reçus par les médecins, pouvaient influencer leur prescription.

Réponse, après étude de 41 257 prescriptions : oui.

Les « cadeaux » des labos inciteraient les médecins à prescrire plus certains médicaments, et plus cher. Une analyse plus fine des données montre que plus le montant des « cadeaux » est important, plus le montant de la prescription est élevé.

Ainsi, d’après l’étude, les « praticiens qui qui ne reçoivent aucun avantage de la part de l’industrie pharmaceutique sont associés en moyenne à de meilleurs indicateurs d’efficacité et de coût de leurs prescriptions ».

Ils prescrivent moins de « vasodilatateurs (en cas d’hypertension, ndlr) et de benzodiazépines, déconseillés sur la durée longue, et moins de startans (en cas d’hypertension, risque cardiaque, ndlr) ».

Mais ils prescrivent aussi « plus de génériques d’antibiotiques, d’anti-hypertenseurs et de statines ».

En revanche, pas de différence pour ce qui concerne « la prescription d’aspirine, d’antidépresseurs ou d’inhibiteurs de la pompe à protons (contre les brûlures d’estomac, ndlr) »

Bref, que penser de tout cela ?

Y-a-t-il scandale, alerte rouge ? Ou rien de très neuf sous notre beau soleil ?

D’abord, il faut rappeler que les « cadeaux » dont parlent les médias sont en réalité… interdits.

L’étude s’est intéressée, comme le rappelle le syndicat professionnel des laboratoires, à de seuls « avantages », qui eux sont autorisés, comme « des invitations à des événements scientifiques ou de formation, des frais d’hébergement, de déplacement ou de restauration »[2], lesquels doivent être déclarés dès lors qu’ils dépassent 10 euros.

Des avantages…Ce n’est pas tout à fait pareil que des cadeaux, et sur ce sujet sensible, il me paraît important d’être précis pour éviter que le grand public colle inconsciemment l’étiquette de corruption sur cette pratique, ce qu’elle n’est objectivement pas.

Maintenant, il est évident qu’un médecin – comme vous, comme moi – sera sensible à une attention qu’on lui porte.

Et à défaut de vouloir faire plaisir en retour à celui qui le considère, au moins sera-il a priori bien disposé à son égard.

Est-ce déjà trop ?

En tout cas, ce n’est pas non plus parce qu’on lui rembourse son billet de train pour aller à un congrès sur l’hypertension, que votre médecin va brusquement se mettre à faire n’importe quoi de retour dans son cabinet.

S’asseoir sur sa formation scientifique, sa déontologie, ses convictions.

Pourtant, il semble indéniable d’après l’étude que le montant de l’ordonnance augmente lorsque le médecin a eu un avantage.

Alors ?

Alors…peut-être que la vraie question, la question essentielle à poser est de savoir si cela entraîne, oui ou non, un bénéfice pour le patient ?

Et là….Eh bien l’étude ne couvre pas cette question, et nous laisse par conséquent… au milieu du gué.

Voilà pourquoi il me semble que le battage médiatique autour de cette étude me paraît assez inutile.

Surtout que cela risque de donner de nouvelles idées aux régulateurs fous, qui vont vouloir créer, avec le discernement et la finesse dont ils font preuve habituellement, un nouveau « machin » administratif destiné à réguler, normaliser (et sanctionner bien sûr) encore un peu plus la pratique des médecins.

Et si on faisait autre chose ?

Alors je ne sais pas si vous serez d’accord (vous pouvez me le dire en commentaire), mais plutôt que de promouvoir une nouvelle loi, d’interdire, de réglementer encore un peu plus le travail de nos médecins qui étouffent déjà sous la paperasse, je pense qu’on peut aussi imaginer autre chose.

Quelque chose qui vous impliquerait vous aussi, simples patients désireux d’agir sur leur santé.

La prochaine fois que vous allez consulter votre médecin, faites-lui vous aussi un cadeau :

Remerciez-le.

Pour le temps qu’il prend à vous écouter, pour l’attention qu’il vous accorde, pour les soins qu’il vous a faits par le passé et qui vous ont fait du bien.

Remerciez-le.

Faites-lui ce cadeau vrai de la gratitude.

Ce cadeau qui ne rentre pas dans les cases de la base Transparence Santé[3], où les professionnels de santé doivent déclarer leurs liens d’intérêt, mais qui a pourtant une puissance hors norme.

Car il peut vraiment aider les médecins à soigner mieux.

Dans le fond, une grande partie de la qualité de la relation qu’on entretient avec son médecin se joue avant l’ordonnance.

Ainsi, une revue d’études récente, effectuée par des chercheurs de Harvard, a montré que l’attitude du médecin avec son patient lors de la consultation avait un impact direct sur sa santé :

« Lorsque le médecin coupe la parole à un malade qui parle de ses symptômes, lorsqu’il garde les yeux rivés sur son ordinateur sans donner l’impression d’écouter, le médecin réduit l’efficacité de sa consultation »[4].

 

«Des interventions visant à améliorer la communication ont un effet mesurable sur certains marqueurs de l’état de santé, comme la pression artérielle, la perte de poids ou les scores de douleur».

Et puis la gratitude, c’est bon AUSSI pour celui qui l’éprouve : bon pour l’immunité, le sommeil, contre l’anxiété ou la dépression.

La gratitude va jusqu’à soigner votre cœur :

Une étude sur sur 186 hommes et femmes souffrant d’une maladie cardiaque a montré que ceux qui déclaraient ressentir le plus de gratitude dans leur vie quotidienne étaient également en meilleure santé[5].

Eh oui, à notre époque qui espère tant son salut par la technologie, il n’est pas inutile de rappeler que la médecine demeure une discipline fondamentalement…humaine.

Qu’on soigne parfois d’une caresse, d’un regard bienveillant ou simplement en faisant ce que personne d’autre ne fait : prendre le temps d’écouter.

Santé !

Gabriel Combris

 

Sources:

 

[1] https://www.bmj.com/content/367/bmj.l6015

 

[2] https://www.leem.org/sites/default/files/2019-11/CP-06-11-2019-Reaction-a-letude-BMJ.pdf

 

[3] https://www.transparence.sante.gouv.fr/flow/main;jsessionid=B70E625562B87B09ECA5C160C600212B?execution=e1s1

 

[4] https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0094207

 

[5] http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26203459