Chère lectrice, cher lecteur,

On raconte que le grand médecin et chirurgien Joseph Récamier [1], appelé pour la vingtième fois auprès d’un malade souffrant d’une violente affection rhumatismale, s’écria, en désespoir de cause :

– Mais que voulez-vous que j’y fasse, à votre rhumatisme !
– Docteurque vous me donniez quelque chose ?
– Hélas, je ne connais pas de remède

La situation en était à ce point désespérée, lorsque soudain une petite voix se fit entendre, venue du fin fond de la cuisine :

« J’en connais un, moi… »

C’était une vieille domestique.

Sans rien ajouter, elle avança vers le malade, prit des feuilles de chou, les assembla entre elles, les appliqua sur le point douloureux, et se retira majestueusement avec l’air de dire : « vous m’en direz des nouvelles ».

En vrai savant, Récamier ne se moqua pas de la vieille femme et de son remède.

L’œil grand ouvert et l’esprit aux aguets, il observa.

Pas vraiment le Laurent Delahousse des légumes…  

Et le résultat fut si extraordinaire que le médecin, après avoir tenté avec succès d’autres expériences, se fit l’un des apologistes les plus convaincus des vertus médicinales de la feuille de chou.

Il faut dire que le chou, c’est un seigneur du potager.

Mais pas celui qu’on remarque tout de suite, le genre Laurent Delahousse des légumes, gendre idéal et costume sur mesure.

Non. Avec sa tête joufflue et son air bonhomme, le chou fait dans l’authentique…

 

 

Que celui qui pense que le chou est un légume « banal » lise cette lettre jusqu’au bout. Il m’en dira des nouvelles !

Il est vrai qu’à l’origine de la race de choux que nous connaissons aujourd’hui (chou blanc, chou rouge, chou de Milan, chou Romanesco, chou-rave, chou de Bruxelles, etc.) on trouve le chou sauvage, fier crucifère poussant sur les falaises de l’Océan, légume fouetté par l’iode, le vent, les vagues qui se cassent et le piaillement des mouettes.

Un roc.

Pas étonnant qu’une simple petite assiette de chou vert[1] nous permette de faire le plein en fibres, en minéraux et oligo-éléments (calcium, phosphore, potassium, fer, magnésium…), en antioxydants (polyphénols, vitamines A, C, E, B1, B2, vitamine K), etc.

Comme l’écrit le journaliste Benoît Dauriac, de la lettre NutriSanté :

« Grâce à son cocktail de nutriments, le chou agit à tous les étages :

« Il est bon pour la santé cardio-vasculaire et il contribue à réduire l’hypertension, à abaisser les niveaux de cholestérol »

« Il agit sur la digestion grâce aux nombreuses fibres qui facilitent le transit intestinal ; mais aussi, certaines de ses fibres solubles augmentent le nombre de bonnes bactéries intestinales »

Plusieurs études laissent penser qu’il pourrait permettre d’éradiquer la redoutable bactérie helicobacter pylori, qui provoque les ulcères de l’estomac et les remontées acides, même sans autre traitement dans environ 60 % des cas.

Car contrairement aux idées reçues, le chou est en effet un allié précieux pour l’estomac et les intestins :

Une étude menée sur plus de 1 005 femmes chinoises a notamment montré que celles qui mangeaient le plus de légumes crucifères avaient des niveaux d’inflammation bien plus faibles que les autres !

Ajoutons que sa haute teneur en soufre explique son action bénéfique sur les voies respiratoires.

En cas de bronchite, rhume, asthme : décoction avec 60 g de chou cuit 1 h dans 0,5 l d’eau, additionnée de 70 g de miel. 2 à 3 tasses par jour.

Enfin, plus spectaculaire encore, la gynécologue Bérengère Arnal, recommandait la consommation régulière de choux, riches en indole-3-carbinol, pour leur double action bénéfique en prévention du cancer du sein [2] : « la première  au niveau de la détoxication hépatique des œstrogènes [3], et la deuxième spécifique anticancéreuse en « interférant avec le récepteur des œstrogènes » [4].

Savait-elle tout cela, la brave domestique qui épata le Dr Récamier ?

Peut-être pas.

Mais elle savait faire un cataplasme de chou.

Le cataplasme de chou qui épata le grand chirurgien

Voici comment elle fit :

Elle prit soin de sélectionner des feuilles bien fraîches et charnues, celles qui font « crac » quand on les arrache.

Elle vivait dans un monde sans pesticides et n’avait pas besoin de les laver à grandes eaux. Mais aujourd’hui, il faut impérativement le faire.

Lorsque les feuilles sont bien séchées, on retire la grosse côte centrale. Puis on écrase la feuille (avec un rouleau) pour faire suer le suc. Ensuite, on applique en 2 ou 3 épaisseurs sur la zone à traiter et on recouvre avec une bande.

Au début, la compresse peut provoquer une recrudescence des douleurs. Il faut alors se contenter d’applications d’une heure ou deux, renouvelées toutes les 6 à 12 heures.

Le deuxième visage du chou : stupéfiant !

Je voudrais maintenant évoquer une des propriétés les plus spectaculaires et pourtant méconnues du chou, un deuxième visage qu’il ne montre seulement qu’à certaines conditions.

Dans certains cas, en effet, le chou peut libérer un composé organo-sulfuré qu’on appelle le sulforaphane, et se transformer alors en véritable bouclier anti cancer [5].

Et dans la vie de tous les jours, cette apparition a lieu… quand vous broyez le chou avec vos dents !

Le légume se sent ainsi « attaqué » et libère le sulforaphane, qui a pour rôle dans la nature d’empoisonner l’agresseur (bactérie, parasite) [6].

Sauf que pour l’homme, c’est une bénédiction.

En revanche, si votre chou est cuit dans une casserole d’eau bouillante, il reste un brave chou, mais ne revêt pas sa cape anticancer.

Le Pr Talalay,  de l’Université John Hopkins, qui est à l’origine de cette découverte fascinante, a cependant également remarqué que la teneur en sulphoraphane d’un chou était extrêmement variable et souvent insuffisante pour dévoiler un vrai effet anticancer.

Une illusion, alors ?

Non !

Le scientifique a fini par découvrir que les graines germées de brocoli – un membre éminent de la grande famille des choux – avaient un taux de sulphoraphane jusqu’à 50 fois plus élevé que le légume adulte !

C’est donc en mangeant des graines germeés de brocoli que vous êtes assuré d’avoir les doses les plus élevées de sulphoraphane anticancer.

Enfin, précisons que des chercheurs asiatiques [7] ont aussi trouvé une autre façon de « muscler » notre petit chou ordinaire : il s’agit simplement de le couper en très, très petits morceaux, qu’on laisse reposer environ 1 h 30 avant de les faire cuire.

D’après nos scientifiques, grâce à cette technique, même une cuisson à l’huile très chaude (au wok par exemple) permet d’avoir un bon niveau de sulphoraphane.

Ainsi notre chou, qui paraît avoir la rondeur même de la Terre, les bajoues d’un gros bébé, dévoile à qui prend la peine de faire vraiment connaissance la force d’une plante médicinale de première grandeur !

Et alors, comme le disait Hippocrate : « Il ne faut pas rougir d’emprunter au peuple ce qui peut être utile à l’art de guérir »…

Santé !

Gabriel Combris

Sources :

[1] https://nutritiondata.self.com/facts/vegetables-and-vegetable-products/2371/2

[2] Revue Plantes & Bien-Être, octobre 2015.

[3] L’indole-3-carbinol stimule les enzymes hépatiques de détoxification des œstrogènes. Il oriente vers la voie de décomposition des œstrogènes (endogènes, de synthèse et xéno-œstrogènes) qui n’augmente pas le risque de cancer du sein et pourrait même être protecteur (voie 2OH-hydroxyoestrone). Les autres voies (4OH et 16OH) augmentent le risque de cancer du sein.

 

[4] 2012, http://www.anticancerfund.org/fr/therapies/indole-3-carbinol

[5] http://pages.jh.edu/jhumag/0408web/talalay.html

[6] Voir l’explication détaillée : https://www.julienvenesson.fr/comment-optimiser-les-effets-anticancer-du-brocoli/

 

 

[7]  Wu Y, Shen Y, Wu X1,3, Zhu Y, Mupunga J, Bao W, Huang J, Mao J, Liu S, You Y. Hydrolysis before Stir-Frying Increases the Isothiocyanate Content of Broccoli. J Agric Food Chem. 2018 Feb 14;66(6):1509-1515