Chère lectrice, cher lecteur,

Lorsqu’il évoquait ses épisodes dépressifs, le premier ministre anglais Winston Churchill expliquait qu’il recevait la visite de son…chien noir.

Peut-être se sentait-il dans ces moments comme le chien noir de ce tableau peint par Goya, petit être fragile perdu au milieu du grand nulle part…

Tableau

La dépression n’est pas une impression, un sentiment, l’expression d’une faiblesse ou d’un laisser-aller.

La dépression est une maladie.

Oui, on « attrape » la dépression comme un virus ou un microbe, et ses conséquences peuvent être graves :

  • La dépression augmente le risque de maladie cardiovasculaire.
  • Les personnes dépressives présentent un risque accru de 70 % de développer un cancer.
  • La dépression multiplie par 13 le risque de suicide chez les hommes, et par 16 chez les femmes !

La dépression est un problème lourd, qui vient abîmer un des trésors les plus précieux que nous avons en nous : l’envie de vivre.

La première chose à faire, c’est donc de reconnaître cette maladie.

De la déconnecter de la « honte » qui accompagne souvent celui qui en souffre.

Voyage dans un cerveau triste

Si vous ne la connaissez pas, j’aimerais maintenant évoquer avec vous une découverte étonnante faite dans les années 1980 par le Dr Lemoine, alors médecin à l’Hôpital Psychiatrique du Vinatier à Lyon, pour traiter et guérir naturellement la dépression.

Voici ce qu’il raconte dans son livre « Dépression » :

« La situation était inédite : plusieurs patients déprimés hospitalisés et résistants à plusieurs traitements antidépresseurs présentaient les caractéristiques de maladie de Parkinson. Classiquement, on rattache la dépression à un dysfonctionnement au niveau de la sérotonine ou de la noradrénaline. Or, la maladie de Parkinson est de manière certaine liée à un déficit en dopamine par destruction progressive des neurones dopaminergiques d’un certain nombre de noyaux gris centraux car il s’agit d’une maladie neuro-dégénérative.

Notre raisonnement a donc été simple : puisque rien ne marche avec ces patients, que leur seul déficit objectif concernait la dopamine, proposons-leur de les traiter avec un « stimulant » de ladite dopamine, c’est-à-dire un médicament anti-parkinsonien (piribédil, bromocryptine) ; les résultats ne se firent pas attendre puisque tous ceux qui présentaient les caractéristiques de la maladie de Parkinson furent très améliorés en quelques jours.

Le problème est que le plus souvent ces médicaments perdent leur efficacité au bout de quelques mois, en général un semestre par désensibilisation des récepteurs à la dopamine… et c’est ce qui se produisit.

Nous avons donc décidé de substituer le médicament de synthèse par un précurseur de la dopamine : la L-Tyrosine. Cet acide aminé est une substance naturelle que nous absorbons tous les jours dans le fromage, les noisettes, les œufs, la viande, etc.

Et là encore, nous ne fûmes pas déçus puisque comme avec les antiparkinsoniens, les patients étaient améliorés, pour ne pas dire guéris en moins d’une semaine! »1

Aujourd’hui l’acide aminé L-Tyrosine est devenu un élément clé du traitement des dépressions, mais il reste encore souvent méconnu du grand public.

Son mode de fonctionnement et son efficacité démontrée par des études méritent d’être pourtant largement diffusés.

Pour activer notre motivation, le cerveau a besoin de produire deux neuromédiateurs : la dopamine et la noradrénaline.

La dopamine donne de l’intérêt aux choses, fait anticiper des plaisirs, motive, donne des émotions et stimule la sécrétion des endorphines responsables de notre état de bien-être.

Or la dopamine est fabriquée à partir de tyrosine, et la noradrénaline à partir de dopamine.

Si vous manquez de dopamine, vous perdez votre entrain, vos envies s’altèrent (y compris votre libido), une fatigue physique et mentale prend le contrôle de votre vie.

Cette situation peut être liée à un épuisement neuronal des circuits de l’attention du fait de l’accumulation d’événements éprouvants : stress professionnel, familial, deuil, accident, etc.

À force de devoir soutenir l’organisme en produisant de grandes quantités de noradrénaline pour répondre à ces sollicitations, les neurones finissent par s’épuiser 2. Les sécrétions de noradrénaline et de dopamine s’amenuisent. Le déficit s’installe et l’administration de Tyrosine permet de réduire les effets dépresseurs de cet épuisement.

Par ailleurs, comme tous les antidépresseurs, la tyrosine est un puissant antalgique. En remontant la dopamine, elle permet de sécréter plus d’endorphines ce qui contribue à retrouver un état de bien-être.

En pratique, pour remonter les neurones en Tyrosine :

  • il faut réduire la consommation des acides aminés qui entrent en compétition avec lui pour le passage dans le cerveau à travers la barrière hémato-méningée, en particulier leucine, isoleucine et valine, ce qui revient à diminuer la place de la viande, des produits laitiers et du maïs qui en sont leur sources principales
  • consommer des glucides lents qui via l’insuline font entrer ces acides aminés compétiteurs dans les muscles ;
  • prendre de la Tyrosine en complément : l’efficacité de la tyrosine dépend beaucoup de la quantité absorbée, il s’agit d’un effet dose-dépendant. Les apports optimaux se situent à 14 mg/kg de poids corporel (entre 500 et 2 000 mg/jour).

Le traitement peut être interrompu lorsque la personne retrouve un meilleur état, quitte à être repris de manière ponctuelle en cas de stress aigu, de surmobilisation, de surmenage ou de fléchissement de l’humeur.

Au niveau des contre-indications, il faut signaler la grossesse, le mélanome malin, l’hyperthyroïdie ou la survenue récente d’un infarctus.

Pour améliorer l’effet de la tyrosine et limiter les risques de compétition d’assimilation avec les autres acides aminés, il est recommandé de l’absorber l’estomac vide, le matin avant le petit-déjeuner ou le déjeuner.

Pour éviter certains effets secondaires (agressivité, fébrilité, insomnie), on commence par une cure de 8 à 10 j de magnésium avant l’administration de Tyrosine, les effets secondaires étant liés à l’hyper réactivité à la noradrénaline, qui est modulée par le magnésium.

Un dernier point : une étude récente a montré que la Tyrosine prise par une femme allaitante ne passe pas dans le lait maternel, ce qui permet donc de l’utiliser dans le cas particulier de la dépression du post-partum3.

Pour choisir le bon complément

Le principal critère est évidemment la nature et la quantité de tyrosine. La plupart des compléments proposent directement de la L-tyrosine ; certains contiennent une forme dite N-acétyl-L-tyrosine, qui n’a pas démontré d’intérêt supérieur4.

La présence de cofacteurs constitue un autre critère de choix : ils sont nombreux du fait que l’objectif recherché est d’optimiser la synthèse des neuromédiateurs : zinc,vitamines B6, B12 et les folates (vitamine B9), essentiels à la synthèse de tyrosine à partir de la phénylalanine.

La vitamine C intervient également en tant que cofacteur dans la synthèse de L-Dopa et de noradrénaline. De même que le fer et le cuivre, mais une supplémentation en ces deux éléments n’est justifiée que lorsqu’il y a déficit avéré, ceux-ci étant pro-oxydatifs en cas d’excédent.

Dernier conseil de Pépé le poilu, alias Albert Einstein

Et enfin, puisque nous avons commencé cette lettre avec un tableau légèrement inquiétant, je vous propose de finir sur une image plus…légère :

Photo

Vous le reconnaissez, cet holibrius qui vous regarde, l’air tout content, confortable dans ses splendides chaussons tout en poils ?

Albert Einstein ! Le physicien qui a bouleversé la conception du temps, de l’espace et de l’univers avec sa théorie de la relativité…

… le même homme qui sourit sur la photo, l’air de dire : « Franchement je crois que si on est sur cette terre, c’est quand même pour s’en payer une bonne tranche. »

Pas d’accord ?

Gabriel Combris

 


Sources :

(1) Dr Patrick Lemoine, Dépression. 

(2) Lehnert, Beyer, Reinstein, Richardson, Wurtman. « Relationship between pituitary ACTH content and hypothalamic catecholamines in the rat ». Research in Experimental Medicine, 189 : 289-293, 1989.

(3) Dowlati Y et al, No effect of oral tyrosine on total tyrosine levels in breast milk : implications for dietary supplementation in early postpartum,           Arch Womens Ment Health, 2014, 17 (6) : 541-8

(4)  Topall G, Laborit H. « Brain tyrosine increases after treating with prodrugs : comparison with tyrosine ». J. Pharm. Pharmacol., 1989 Nov., 41 (11) : 789-791.