Chère lectrice, cher lecteur,

J’ai lu récemment une nouvelle de l’écrivain russe Nicolas Gogol, Le manteau, où il raconte l’histoire obscure d’un être obscur, petit fonctionnaire pétersbourgeois dont le bref passage sur la terre ne laissa strictement aucune trace

« Ainsi disparut un être humain qui n’avait eu ni protections ni amis, qui n’avait inspiré aucun intérêt sympathique, qui n’attira pas même la curiosité du naturaliste, si empressé de piquer sur le liège un insecte rare et de l’examiner au microscope. Il avait supporté́ sans se plaindre les railleries de ses collègues. Il avait cheminé vers le tombeau, en dehors de tout évènement extraordinaire. »

Voici donc résumée en cinq lignes une courte vie bien terne…

Mais cette vie ordinaire, secrète, discrète, serait-elle pour autant « indigne » d’intérêt ?

Je vous laisse découvrir par vous-même la réponse de Gogol, mais il me semble que la question résonne particulièrement à notre époque qui valorise comme aucune autre les stars, les athlètes, les vedettes, les capitaines d’industrie et autres premiers de cordée, et met soigneusement de côté les anonymes, « ceux qui ne sont rien » comme avait dit un jour notre Président de la République.1

Nous autres, qui n’avons pas connu notre « quart d’heure de célébrité », ne sommes-nous vraiment « rien » ni « personne », avons-nous raté notre vie ?

Et surtout, comment se libérer des chaînes que crée cet esprit de comparaison, et le sentiment négatif qui l’accompagne trop souvent : la jalousie.

Qui sont nos modèles ?

Drogués à la compétition, à la performance, à la « gagne », les héros d’aujourd’hui sont ceux qui foncent, qui bousculent, les briseurs de records, les bâtisseurs, les leaders

Ils sont les « dieux » d’un monde qui ne se « contente pas », mais qui aspire à « faire toujours plus » à « aller plus loin », à « se dépasser » encore et encore.

Un monde qui se fixe comme objectif d’« avancer ».

Mais est-ce un hasard alors, de voir ce monde si malade ?

  • Est-ce un hasard, si des millions de personnes se ruent sur les antidépresseurs, les somnifères, les anxiolytiques ou la malbouffe pour compenser le stress, les ruminations, l’angoisse ?…
  • Si le nombre de cancers explose depuis cinquante ans ? Si le diabète, la dépression, l’insomnie ou la douleur chronique sapent la vie quotidienne de millions d’entre nous ?
  • Etc.

Dans son livre « L’amour, la médecine et les miracles », le chirurgien américain Bernie Siegel remarquait que le risque de cancer était plus élevé chez des personnalités édifiées sur « la valorisation des êtres et des choses extérieures au moi ».

En d’autres termes, celles qui ne trouvent pas en elle-même la ressource intérieure du bonheur.

Je sais qu’il s’agit d’un sujet difficile, et que mon propos n’est en aucun cas de pointer du doigt tel ou tel type de comportement.

Mais certaines études scientifiques soulignent le rôle essentiel d’un état d’esprit serein, d’une conscience de vivre pleinement l’instant présent, sur la longévité.

  • Une étude récente menée à l’Université de Yale aux États-Unis a révélé que les personnes pessimistes avaient 3 fois plus de risques de développer une démence que celles qui adoptaient une attitude positive.2
  • Selon des travaux parus dans le International Journal of Psychiatry in Medicine en 2010, avoir de l’humour et rire souvent permet d’augmenter l’espérance de vie de 20% !3 Menée sur 53000 participants, cette recherche prouve que le rire entraine une cascade de phénomènes physiologiques, allant de la sécrétion hormonale à l’augmentation de la circulation sanguine, en passant par la production de globules blancs pour booster l’immunité.
  • Une autre étude canadienne indique que le bonheur est associé à un nombre très faible de maladies cardiovasculaires par rapport aux sentiments négatifs.4
  • Enfin, une méta-analyse de 35 études a montré que les personnes heureuses peuvent vivre jusqu’à 18% plus longtemps que leurs homologues moins heureuses.5

18% de durée de vie en plus, c’est près de 7 ans d’espérance de vie EN PLUS si vous voyez la vie du bon côté.

Car toutes ces études le prouvent sans ambiguïté : avoir un engagement, un objectif de vie qui favorise le bonheur et l’optimisme est un facteur MAJEUR de longévité.

Mais le message le plus important de ces travaux c’est certainement celui-ci : ce n’est pas forcément la qualité du mode de vie qui influe sur la longévité, mais bien la manière de l’envisager et le plaisir qui en découle.

Rien à voir avec la chance ou le patrimoine génétique donc. Il s’agit là d’une conquête permanente, progressive et surtout très personnelle des saveurs de notre vie. La vôtre, la mienne, celle de chacun de nous, et en aucune façon celle que l’on s’imposerait par mimétisme social.

Et en la matière, tous les chemins sont possibles, et il n’est jamais trop tard pour apprendre à se contenter. De ce qu’on a, de ce qu’on sent, de ce qui nous entoure et qu’on voit, qu’on touche ou qu’on goûte.

Car se contenter, ce n’est pas renoncer.

« Ce n’est pas péjoratif, écrit le navigateur Olivier de Kersauson. Revenir au bonheur de ce que l’on a, c’est un savoir-vivre. ».

Dans le fond, se contenter, c’est vivre content, et c’est absolument essentiel pour notre santé.

Et puis coûte que coûte, il faut s’acharner à faire bien, à faire beau. En tout cas à essayer.

C’est la morale de l’artisan, si bien écrite dans les romans provençaux de Jean Giono.

Où celui qui est en apparence le moins libre de tous les hommes, le travailleur journalier, celui qui dépend chaque matin de la volonté d’un patron de lui donner du labeur, réussit à dépasser cette dépendance, et à transformer son travail en œuvre d’art.

Comment ?

Par le soin qu’il met à sa tâche, par son âme qu’il intègre à la matière qu’il touche, par le beau qu’il vise toujours, à chaque instant, par l’intensité qu’il met dans tout ce qu’il fait, il n’est plus un simple « employé » mais devient le vrai propriétaire de son travail.

Comme l’artiste est le vrai propriétaire, toujours, de son œuvre.

Alors c’est lui, et personne d’autre, qui devient le capitaine de sa vie. C’est lui qui l’illumine, et même si personne n’écrira jamais sa nécrologie, il aura vécu en pleine intensité.

Santé !

Gabriel Combris


Sources :

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_gens_qui_r%C3%A9ussissent_et_les_gens_qui_ne_sont_rien

[2] Levy BR, Slade MD, Pietrzak RH, Ferrucci L (2018) Positive age beliefs protect against dementia even among elders with high-risk gene. PLoS ONE 13(2): e0191004. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0191004

[3] Svebak S, Romundstad S, Holmen J. A 7-year prospective study of sense of humor and mortality in an adult county population: the HUNT-2 study. Int J Psychiatry Med. 2010;40(2):125-46. doi: 10.2190/PM.40.2.a. PMID: 20848871.

[4] Karina W. Davidson, Elizabeth Mostofsky, William Whang, Don’t worry, be happy: positive affect and reduced 10-year incident coronary heart disease: The Canadian Nova Scotia Health Survey, European Heart Journal, Volume 31, Issue 9, May 2010, Pages 1065–1070, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehp603

[5] Chida Y, Steptoe A. Positive psychological well-being and mortality: a quantitative review of prospective observational studies. Psychosom Med. 2008 Sep;70(7):741-56. doi: 10.1097/PSY.0b013e31818105ba. Epub 2008 Aug 25. PMID: 18725425.